« Sur le terrain, les Geiq ont une volonté de faire, c’est un mouvement engagé »

Haut fonctionnaire, engagé au service des autres dans la fonction publique, Alain Régnier est Délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés (Diair), auprès du ministre de l’Intérieur. 

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Cette interview a été réalisée dans le cadre de la seconde édition du magazine La plus belle façon d'embaucher.


Alain Régnier connait bien le dispositif Geiq puisqu'il préside également la « Commission mixte nationale de reconnaissance de la qualité de Groupements d'Employeurs pour l'Insertion et la Qualification ». Cette commission régule la création et le fonctionnement des Geiq sur le territoire. Un entretien qui met en lumière l’une des marques de fabrique des Geiq : l’approche humaine de son accompagnement personnalisé auprès de publics moins favorisés et éloignés de l’emploi.

En votre qualité de haut fonctionnaire, vous êtes engagé depuis longtemps au service des autres dans la fonction publique, et plus particulièrement auprès des personnes qui sont le plus en difficulté. Pouvez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a amené à prendre des responsabilités dans la société civile, auprès des Geiq ?

Alain Régnier : Je me suis engagé très tôt dans l’action de l’État au sujet de la cohésion sociale. Assez rapidement dans ma carrière, j’ai travaillé dans ce qu’on appelle la « politique de la ville », notamment au niveau des quartiers. Au début des années 1990, quand j’étais jeune sous-préfet en charge de la politique de la ville dans le Val d’Oise, j’ai rencontré pour la première fois un Geiq et, ensuite, j’ai côtoyé ce mouvement pendant des années. Lorsque le gouvernement précédent a décidé de transformer les modalités d’agrément et de suivi des Geiq, il m’a été proposé de prendre la présidence de la Commission nationale de reconnaissance de la qualité de Groupements d'Employeurs pour l'Insertion et la Qualification. C’est avec beaucoup de plaisir que je l’ai fait parce que, depuis plus de vingt ans, j’ai constaté sur le terrain que les Geiq étaient peu connus. Pourtant, ils mobilisent plus de 7000 entreprises ! C’est un réseau extrêmement bien implanté sur l’ensemble du territoire. Par conséquent, j’avais l’opportunité d’être utile à ce réseau, de contribuer à son développement. J’ai accepté cette présidence dans une optique de bienveillance constructive et afin de réguler au mieux la création et le suivi de ces Geiq.

Pourriez-vous nous parler de votre première rencontre avec un Geiq ?

C’était peu de temps après la création du mouvement. Je travaillais avec les entreprises pour l’insertion des jeunes des quartiers et le premier Geiq avec lequel j’ai travaillé était un Geiq Bâtiment – l’un des premiers secteurs d’activité qui a participé au lancement de ce réseau. J’y ai trouvé d’emblée un intérêt. D’une part, pour les jeunes, c’est très concret : ce sont des formations, de la découverte des entreprises. Dès le départ, j’ai trouvé des chefs d’entreprises qui donnaient une autre image de ce que l’imaginaire collectif se fait d’eux. Quand j’étais préfet, j’ai rencontré des personnes qui refusaient de me serrer la main parce que le préfet, c’est le ministère de l’Intérieur et donc je faisais forcément partie des méchants. Cela résume assez bien l’idée que parfois dans notre pays nous avons du mal à nous faire confiance. Dans ce contexte, la rencontre initiale avec ces groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification était vraiment une belle rencontre. Elle m’a prouvé que l’on pouvait discuter autrement, que les entreprises agissaient concrètement sur le terrain. À l’époque, on ne parlait pas de responsabilités sociales ou sociétales. On avait d’un côté des entreprises et, de l’autre, des propositions d’emploi pour des jeunes qui n’ont pas forcément eu des parcours débouchant sur des perspectives d’embauche, avec une connaissance du monde de l’entreprise ou des parcours scolaires parfois chaotiques.

D’ailleurs, le dispositif du Geiq ne s’adresse pas qu’aux jeunes.

Oui, tout à fait. Là, c’était le contexte de ma première rencontre avec un Geiq, en l’occurrence avec des jeunes des quartiers de Cergy, Saint-Christophe pour être plus précis, dans le Val d’Oise. L’un des aspects fondamentaux de ce dispositif, c’est la notion du tutorat.

Selon vous, est-ce cela qui distingue les Geiq des autres dispositifs, via une approche plus sociale, plus humaniste ?

Je pense que notre pays a beaucoup de rigidités. Par exemple, il faut que les personnes rentrent dans des cases. Or souvent, au quotidien, c’est plutôt à nous de nous adapter, ce ne sont pas aux gens de s’adapter aux cases. On en revient à la question de la confiance et d’un accompagnement qui s’inspire davantage du modèle anglo-saxon. La prise en charge, le tutorat, c’est un élément central qui différencie effectivement les Geiq des dispositifs classiques parce que, là, il va y avoir un suivi au long cours d’une personne vulnérable, issue d’un public qui est loin de l’emploi. Très souvent, ces personnes ont des problèmes d’estime de soi et peinent à retrouver une vie que l’on pourrait qualifier de « normale ». Il faut les remettre dans un projet. Si l’on se contente de formations plus classiques de type AFPA [ndlr : Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes], même si elles sont sources de belles rencontres, il n’y aura pas ce supplément d’âme qu’offrent les Geiq via l'accompagnement et le tutorat.

Vous diriez que ce qui fait vraiment la spécificité du dispositif proposé par le réseau des Geiq, c’est cette notion d’accompagnement ?

De mon point de vue, l’accompagnement proposé par les Geiq, c’est vraiment sa marque de fabrique, son originalité. Ce qui était, d’ailleurs, sans doute avant-gardiste lors de la création de ce mouvement et cela explique pourquoi cela reste aussi artisanal aujourd’hui au niveau du développement de son réseau. Si les Geiq étaient créés aujourd’hui, on dirait que cela colle à l’esprit du temps, en période de crise sanitaire. Dans un monde où les relations sociales sont très normées, les Français portent un regard complexe sur le monde de l’entreprise. Le réseau des Geiq est peut-être né trop tôt ! Il continue à se développer mais il faut maintenant passer à la vitesse supérieure et accentuer la prise en compte humaine de la personne dans sa globalité, avec un accompagnement qui va aiguiller, travailler en réseau. L’humanisme est donc indissociable de l’ADN du Geiq... Je prends un exemple pour expliciter mon ressenti : tous les ans – sauf en 2020 pour cause de Covid – la fédération se réunit en assemblée générale, prolongée par une manifestation festive. Ce qui m’a frappé depuis toutes ces années – cela fait cinq ans que j’y participe –, c’est l’envie d’être ensemble, la grande homogénéité de valeurs. Les Geiq, c’est un réseau dans lequel les dirigeants, les chefs d’entreprises et les salariés sont dans un projet commun. Et moi, ça, j’aime bien ! Cela résume ma carrière professionnelle : c’est en mode « projet » qu’on fait avancer la société, avec davantage de cohésion. Au sein du Geiq, on le sent de l’intérieur, les gens ont le plaisir de travailler les uns avec les autres. C’est le cas à la Commission nationale de labellisation, au sens où c’est un moment où l’on fonctionne avec un consensus entre l’État, la fédération nationale et les représentants de Geiq locaux. C’est l’un des rares moments, dans des commissions mixtes, où tout le monde se sent en confiance.

En tant que « personne qualifiée extérieure », vous présidez la Commission nationale de reconnaissance de la qualité de Geiq. En quoi consiste votre rôle et celui de cette Commission ?

La Commission nationale de labellisation se réunit au moins deux fois par an. En décembre, nous faisons un retour sur l'année et examinons les critères de validation et d'évaluation, afin d’optimiser la capacité à mieux accompagner et évaluer les Geiq. Nous nous réunissons également en mai où nous examinons l'ensemble des Geiq du réseau : nous regardons les indicateurs de fonctionnement démocratique dans l’entreprise, le nombre de réunions, le respect de la charte du Geiq, les critères de cohérence, si ce sont bien les publics prévus, la qualité des formations en alternance, les sorties… Et, tout au long de l’année, il y a des consultations électroniques proposées par la fédération qui instruit les dossiers. Des dossiers de création sont déposés et la Commission est amenée à se prononcer sur la labellisation. Cela se fait au fil de l’eau sur l’année, par voie électronique, et on agrée les projets.

La Commission a-t-elle aussi un rôle de contrôle ?

Le but de la Commission est de faire respecter les règles du jeu. On peut avoir des cas où l’on retire l’appellation. On peut être amené à examiner des cas limites où il y a besoin de prendre le temps d’échanger. Par exemple au cas où un Geiq, implanté dans un territoire défini, veut développer une activité au-delà de son territoire, sans concertation, alors qu’il y existe déjà des Geiq sur place. La Commission est alors amenée à prendre une position pour fixer un cadre de développement. Ensuite, elle expose les cas difficiles à la fédération et son Conseil d’Administration, qui a sa propre responsabilité en tant que tête de réseau, peut faire de l’intermédiation, organiser des déplacements… Car en cas de difficultés, il faut aller voir les gens sur place. Au sein de l’équipe de la fédération, des chargés de mission se répartissent les régions et les thématiques pour assurer le suivi.

Quelles sont les modalités d’attribution du label décerné par la Commission nationale de labellisation ?

Le label est attribué et réétudié tous les ans. En 2021, cela ne sera pas simple, du fait de l’activité de 2020 impactée par la crise sanitaire. Nous aurons une bienveillance par rapport au respect des critères et serons attentifs face aux explications fournies car le contexte est totalement extraordinaire. En effet, le contexte économique s’est bien dégradé en 2020… Actuellement, il y a 189 Geiq en France qui travaillent avec plus de 7000 entreprises. Il y avait des projets de création sur l’ensemble du pays mais cela a été ralenti par la crise. L’important, c’est que nous restions dans une dynamique.

Au sein du Geiq, il y a certaines branches professionnelles qui sont très représentées historiquement, comme le bâtiment ou l’industrie. Les Geiq sont bien connus par ces secteurs d’activité, mais beaucoup moins par le grand public...

Effectivement, les Geiq ont une faible notoriété auprès du grand public, même si nous avons eu notre heure de gloire sur France 2 en septembre 2017, avec un reportage diffusé au journal de 20 heures ! Par contre, les Geiq sont bien implantés et identifiés dans les territoires.

Le réseau des Geiq est le fruit d’une initiative de branches professionnelles qui ont créé leur propre dispositif, lequel a évolué au fil des ans. L’originalité du Geiq vient-elle de là ?

Oui, sans doute. Et avec le contexte de la Covid, nous avons des nouveaux secteurs qui vont être appelés à se développer : la propreté, le soin, les seniors, l’activité de service… Ce sont autant de secteurs d’activité que l’on voit émerger et pour lesquels de nouveaux Geiq vont pouvoir se développer. Nous avons par exemple des Geiq « sport », « culture », « multiservices » ou encore « jardinage » – que l’on appelle secteur « vert » – qui viennent compléter les dispositifs d’insertion déjà existants dans ces domaines.

Le réseau des Geiq agit-il aussi au niveau de l’intégration des migrants ?

En tant que Délégué Interministériel et non pas en tant que Président de la Commission nationale de labellisation, j’ai proposé, il y a deux ans, que les Geiq ajoutent cette corde à leur arc et le réseau a tout de suite dit oui. La fédération a ainsi pu signer un partenariat avec l'État pour l'intégration professionnelle des réfugiés. Nous avons plus de 200 réfugiés bénéficiaires de la protection internationale qui ont été accompagnés dans le cadre du dispositif Geiq. Quasiment tous en sont sortis avec un emploi. C’est dire si cela fonctionne bien ! Cela démontre que sur le terrain, les Geiq ont une volonté de faire, c’est un mouvement engagé.

Vous êtes le représentant de l’État au sein du Geiq via la Commission Nationale. Quel est l’intérêt pour l’État d’être représenté dans ce type de structure ?

En fait, c’est plus subtil que cela. Je ne siège pas au nom de l’État dans cette Commission. Il se trouve que je suis haut fonctionnaire, mais cette responsabilité aurait très bien pu être confiée à un chef d’entreprise en retraite ou à un élu local. D’ailleurs, il m’arrive d’avoir des positions qui ne sont pas celles, entre guillemets, de l’État à l’intérieur de la Commission.